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Message du bord #8

60°08 31 Nord

45° 14 36 Ouest

 

Un moment que je n’ai tapoté sur ce clavier étanche pour vous raconter nos aventures. Nous sommes en train de clôturer l’épisode groenlandais, l’heure des bilans arrive. Mais tout d’abord, un peu de concret, car ce que nous venons de vivre mérite d’être raconté. Après avoir déposé nos ambassadeurs Jacques Godin et Franck Cammas à l’héliport de Qaqortoq, nous avons pris la mer pour l’entrée du canal du Prince Christian. Ce passage, l’un des plus beaux du monde, relie la côte Est à la côte Ouest par l’intérieur des terres, donc sans avoir besoin de passer le fameux cap Farwel au près, contre le vent et le courant. De plus, ce passage est fabuleusement beau et fait passer les marins au pied de montagnes de plus de 1500 ou 1800m . Une de chaque coté, pendant 56 miles. De quoi se sentir tout petits. Donc vendredi 24 août au matin, nous nous présentons devant l’entrée du fjord. La météo nous annonce un peu de vent, mais rien de bien méchant et nous serons à l’abri dans le fjord. Surtout, nous avions une super fenêtre en sortie de fjord qui devait nous catapulter en Islande grâce à un vent portant de 25 / 30 knt.

Je vous laisse imaginer Pen-Duick VI par 30 knt au portant, il n’y a pas grand chose de mieux sur Terre. Sauf que… dans l’entrée du fjord, nous avons plus de vent que prévu, 45 knt. La météo change à vitesse grand V, ce que nous avions en réalité à 9h du mat’ n’était pas annoncé, mais sera annoncé dans les fichiers de midi. Impossible de mettre les voiles entre les icebergs et les caillasses. De plus il est pile dans le nez, et les rafales ne font que se renforcer. Le moteur n’étale plus le vent, nous reculons, décision prise de faire demi tour et de nous remettre au mouillage. Le vent continue de monter, pour atteindre des rafales à 55 knt, top rise à 62 knt !!

Les vents catabatiques lèvent un nuage de fumée blanche, un peu comme des fantômes, accompagnées de grandes trainées sur la mer, magnifiques mais très impressionnantes. Pen-Duick VI lévite autour de son ancre, nous avons plus de 80m de chaîne à l’eau. Malgré nos 33 T, nous gîtons au mouillage entre 15 et 20°… Et le bruit dans les haubans….Un soufflement que je ne pourrais vous décrire. Des quarts de 2 personnes sur le pont, prêts à allumer le moteur, sont nécessaires. Les montagnes autour de nous sont beaucoup plus vertes que d’habitude. Vous enlevez les icebergs, vous vous croyez à Tahiti. Nous avons 60 knt de vent mais dans un décor incroyable avec des cascades, de la verdure, une lumière et un soleil extraordinaires !

Au bout de quelques heures, nous entendons un gros boum, le bruit de la chaîne qui dérape, suivi d’un autre boum. Les rochers n’étant jamais bien loin, nous ne prenons pas de risques et remontons l’ancre pour remouiller un peu plus loin. Et le truc qui ne devait pas lâcher à ce moment-là nous lâche au bout d’à peine 10 m de chaîne : le guindeau. Sur un bateau de 33T, inutile d’espérer remonter 70 m de chaîne à la main, même si l’équipage est une équipe mi All Blacks mi Viking, élevée au Paté Hénaff . Solution d’urgence : on frappe un bout de la colonne de winch à la chaîne, un autre du winch de la drisse de Yankee à la chaîne, et c’est parti pour un long moment… Nous avons bien du mettre 45 mn ou une heure à hisser l’ancre, en jouant avec les rafales, essayant de garder tant bien que mal le bateau dans l’axe du vent. Mais le vent, lui, tourne en permanence, tantôt faisant sauter la chaîne du réa, tantôt faisant entrer le bateau dans une belle rotation, en nous faisant violemment gîter. Une fois l’ancre haute et claire, nous essayons de rejoindre le petit quai de l’entrée du fjord, mais toujours trop de vent pour notre moteur. En même temps, un moteur qui arrive à étaler 60 kn de vent, ça existe, mais c’est rare. Alors nous faisons demi-tour et retournons à Nanortalik, pour attendre une prochaine fenêtre météo et commander un guindeau qui, j’espère, sera livré à temps en Islande. Sans moteur, ou plutôt moteur au point mort, et sans voiles, nous sommes déjà à plus de 6 knt. Nous gréons le tourmentin, et nous voici donc au portant dans 50 / 60 knt, avec un tout petit bout de torchon en l’air, filant à 12 knt sans forcer…

On ne se dit rien mais on y pense tous : quelle sera la manœuvre de port la plus sécu à faire… Heureusement, Nanortalik possède deux pontons et le lourd, abrité des vents d’Est, n’est pas occupé par le cargo hebdomadaire. Après avoir bien répété la manœuvre entre nous, bien expliqué à chacun son rôle, nous présentons l’étrave du VI face au quai et face au vent. Théo et Lambert sautent sur le quai avec une pointe avant et un traversier. Celui-ci est connecté à la colonne de winch, et nous ramenons le bateau en winchant et en utilisant le moteur.

On double tout, le bateau est en sécurité, personne n’est blessé, plus qu’à réparer, se reposer, et attendre une nouvelle fenêtre météo !

La suite, ou plutôt ce qui s’est passé avant, bientôt.

Bonne nuit, et bon quart à tous,

Marie.