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Message du bord Pacifique Sud #2

Bonjour à tous, 

Nous voici de retour dans le Sud, flirtant avec le 50eme parallèle. À notre grande surprise, l’ensemble de la flotte a passé une semaine à se débattre dans des vents légers anticycloniques sous un soleil de plomb. Le soleil étant très proche de la Terre dans cette région, il brûle la peau. Nous étions donc dans les fameux 40ème rugissants, en T-Shirt, à se demander si nous aurions assez de crème solaire. 

Depuis 48 heures, nous voici de nouveau dans la grisaille du Sud, le vent commence à être soutenu, et nous nous apprêtons, si les fichiers ne changent pas, à nous retrouver coincés entre une haute pression et une dépression tropicale qui vient faire du tourisme dans le Sud. Du près et du vent fort à venir.

C’est bizarre de partir d’Auckland… La moitié de la Terre est faite, nous avons passé l’antiméridien et revenons donc dans les longitudes Ouest : 170W, 160W, 150… et un jour, ce sera le 05W : la maison ! Le bateau à voile, comme le contact avec les chevaux, vous apprend à vivre dans le moment présent. Pleinement. Il faut savoir anticiper l’avenir, prévoir, tout en laissant une grande place à l’improvisation, à l’adaptation. Seulement là, on sait que chaque mille nous rapproche de l’écurie. Et ça devient dur de ne pas laisser son mental penser au retour, avec tout ce qu’un retour comporte. Je réalise que cela fait déjà plus de 4 mois que nous sommes partis, et que fin avril, dans trois gros mois, nous finirons cette aventure longue de 3 ans. Il y a l’aspect maritime bien sûr : faire un tour du monde à la voile, en course et en équipage, reste une chance et une aventure unique. Seulement j’avais sous-estimé l’aspect humain. De beaucoup. L’aventure humaine a commencé au moment où j’ai diffusé l’annonce de recrutement de mon équipage, en janvier 2022. Depuis, nous avons rayé le parquet sur l’Atlantique pour nous entrainer, apprendre à nous connaître, et apprivoiser Pen-Duick VI. Seulement, à force de me concentrer sur mon équipage, je n’ai pas vu venir l’autre aventure : celle que nous allions vivre avec les autres concurrents. Dès notre arrivée à Southampton, port de départ de l’Ocean Globe Race, je comprends que ce tour du monde, je ne vais pas le faire qu’avec mon équipage. 

14 bateaux de différentes nationalités : Américains, Finlandais, Anglais, Italiens, Espagnols, Sud-Africains entre autres…

C’est très particulier car nous faisons un tour du monde de huit mois tous ensemble, et nous ne nous voyons que très rarement. En mer, nous sommes loin les uns des autres, mais grâce à la BLU, nous nous parlons 2 à 4 fois par jour. En course au large moderne, nous parlons entre coureurs via WhatsApp. Ici, le fait de se parler tous ensemble par radio, à la même heure, apporte une toute nouvelle saveur. 

Nous sommes une grande caravane, en pleine transhumance autour du monde. Aux étapes, nous essayons de passer du temps ensemble, ce qui n’est pas facile avec des bateaux qui n’arrivent pas en même temps, qui doivent ensuite être réparés, des équipages qui doivent bricoler et se reposer, l’arrivée de nouveaux équipiers et le départ de certains. 

Au fur et à mesure, je comprends aussi que la course ne se joue pas que sur l’eau. 

On dit que « Être au départ est déjà une première victoire ». 

Ici, il y a 8 courses. Il faut courir l’étape, et à terre se lance un nouveau départ à chaque escale. Pour certains, il faut gérer des problèmes d’équipage, des blessures, des événements extérieurs ou des tensions (40 jours en huis clos… ça peut être long !). Pour d’autres, une escale est une course contre la montre pour réparer le bateau en très peu de temps, sans l’aide de ses fournisseurs habituels, ou encore courir après des financements pour boucler un budget, surtout s’il faut réparer le bateau. 

Le bateau qui gagnera cette course sera celui qui aura réussi à garder la cohésion de son équipage, maintenu son bateau en un seul morceau et qui en mer, aura su appuyer sur l’accélérateur, tout en gardant un pied sur le frein. 

Je pense que chacun de nous, marins, équipiers ou capitaines, se sent un peu seul à l’autre bout du monde, loin des soutiens que nous avons habituellement, surtout face à autant de défis à résoudre.

Alors, nous développons un lien unique, basé sur une histoire commune, une aventure planétaire. Jamais dans nos vies terriennes, ces liens ne se seraient développés aussi vite. Émotionnellement, c’est intense.

Alors entre nous qui partageons pour beaucoup une même philosophie de vie et cette envie de nous rapprocher au maximum d’une navigation plus naturelle, les liens se resserrent davantage,  des amitiés solides sont nouées.

Le brassage pro-amateur permet de faire revivre une classe de bateaux formidables, techniquement et maritimement intéressants, qui forme des amateurs à être des marins complets, et qui développe l’entraide, l’ouverture, la camaraderie, la solidarité.

Surtout qui nous donne une expérience de Vie unique. Tout ça pour dire qu’il va falloir se concentrer pour vivre dans le présent et en profiter à fond, car je sais déjà que cette caravane va me manquer, que Vittorio, Nico, Heather, Ian, JC, Rufus, Dominique, Mélissa, Lionel, Mehdi, Mathieu… Tous vont me manquer ! 

Par 50°05 S

148°43 W 

Pen-Duick VI out, back on 16. 

Marie