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RORC

Bonjour à tous,

Ça y est, Pen-Duick VI et son équipage sont de l’autre côté de l’Océan Atlantique !
Pour certains, ce fut leur première transat, pour le VI, probablement une de plus à un nombre incalculable. Aucune idée du nombre de miles nautiques accumulés par ce bateau, mais il doit être vertigineux.

Sur cette course, me voilà à un poste inhabituel, je prends en charge la tactique. Ayant un passé de plage avant (il faut admettre qu’il n’y a pas grand-chose de mieux que le feu de la plage avant !), les gars de la tactique sont peut-être ceux que je voyais le moins de mes régates ! Mais là, il va falloir, et puis force est d’admettre que ça me fait plaisir de me challenger sur cette transat, en plus de porter le capitanat du bateau. Maintenant, il va falloir faire en sorte de ne pas arriver au Brésil, et de préférence, pas derrière.

Cette course se court en temps compensé grâce au « rating ». Nous ne courons pas dans la même catégorie que nos copains – et concurrents sur l’Ocean Globe Race (OGR) – l’Esprit d’Équipe car notre rating nous impose d’être le plus petit rating de l’IRC 0, tandis que l’Esprit d’Équipe sera le plus gros rating des IRC 1, alors nous ferons nos petits calculs entre nous à l’arrivée.
Nous nous retrouvons donc contre des pelles à feu tout carbone, certains avec des foils comme Tulikketu, d’autres avec des bateaux et équipages hyper rodés comme Teasing Machine, et encore d’autre que je ne connais pas encore comme Black Pearl ou Rafale, mais qui ont tout de vraies machines de guerre. Une chose est sûre, c’est que nous n’allons pas du tout vivre les mêmes conditions de course !

Dès le départ, nous attaquons sous spi médium, celui qui devra nous servir de locomotive tout au long de la transat.

Suite au convoyage, l’équipage reprend rapidement son rythme, et chaque quart se concentre sur la performance optimale du bateau. Après toutes ces années, je peux enfin jouir d’un équipage à qui je peux demander de tirer sur le bateau. Je ne les économise pas sur les changements de voiles, ni dans les empannages, même s’ils se font dans 25 / 30 noeuds et une houle formée.

Une nouvelle chef de quart a rejoint le bord : Elodie Mettraux. Son nom vous est probablement familier, Elodie fait partie de la fameuse fratrie Suisse des Mettraux, grande soeur de Justine qu’il va falloir surveiller de près en IMOCA, et de Laurane qui navigue sur les circuits Sail GP et Pro Sailing Tour. Je vous passe aussi le CV des frangins. Elodie, c’est une expérience de plage avant plus que solide, dont 2 Volvo Ocean Race, (SCA puis Turn the Tide) et de l’expérience sur tous les supports possibles, des IMOCA à foils aux bateaux classique comme Sumurun (et forcément, pour moi, quelqu’un qui fait du bateau en bois d’arbre… !).
Alors, entre Tom Napper (N°1 à bord de Velsheda, Lion Heart entre autres), Kai Weeks (N°1 en Mod 70) et Elodie, le pont du VI va prendre feu, les Volon’Terre vont avoir chaud !

À bord, je prends le parti de faire tourner tous les postes, surtout celui de barreur. Pour l’instant, hors de question d’en privilégier certains, tout le monde doit pouvoir avoir le temps d’apprendre. Barrer un maxi n’est pas chose aisée, encore moins quand ce dernier fait 34 tonnes et que la houle est formée. Comme toujours, les quarts durent 3 heures, ils sont 3 par quart, et barrent donc une heure minimum tour à tour, même si les conditions sont dures.
Dans le grand Sud, quand les conditions seront vraiment difficiles, on choisira probablement ceux qui sont le plus à l’aise pour garantir la bonne marche et la sécurité du bateau, mais nous n’en sommes pas encore là, l’heure est pour le moment à la formation.

Et justement, c’est pour moi la grande équation de cette transat. Comment tirer un maximum sur le bateau, tout en préservant le matériel, en testant un maximum le potentiel de l’équipage, tout en le formant ?
Surtout, je découvre de plus en plus qu’avant de commencer à tirer sur le bateau, il y a de la marge. Ce bateau est capable d’encaisser bien plus que ce que l’on pense, et je commence à peine à dépasser la limite « bateau de croisière ++ » à « bateau de course ». Pourtant je vous garantis que nos moyennes de l’année 2022 furent tout à fait honorables, mais quand je pense aux furieux des équipages qui ont fait les différentes Whitbread à son bord, on ne doit pas tirer sur le bateau de la même façon, j’ai encore un peu de marge !

Tirer sur le bateau ne veut pas dire surtoiler, au contraire, le secret est même de réduire sans hésiter dès que le vent monte. Il aime gîter, il n’aime pas être chargé. En revanche, être au maximum de chaque réglage, de chaque combinaison de voiles, de tirer le maximum du potentiel du bateau tout le temps à chaque vague, là, c’est un autre exercice. Surtout quand les grains s’en mêlent et qu’ils font passer le vent de 17/20 noeuds (conditions idéales pour le Spi Médium) à 35 noeuds (où là, c’est spi lourd) en quelques instants. Seulement des grains, il y en a tous les quarts d’heure, et comme nous sommes en course, nous ne pouvons pas naviguer avec le frein à main.

Mais pour ne pas craindre d’aller en haut de range du matériel, il ne faut pas avoir de limites de budget. N’ayant clairement pas un budget illimité, un jeu de voiles en fin de vie, une course à terminer et une autre à suivre, il faut économiser le matériel. Alors on abat, on choque, voire on affale pour préserver le spi et on renvoie la toile dès que le grain est passé.
Seulement, il arrive que le matériel ait aussi son mot à dire, et dans une petite rafale de rien du tout, sans prévenir, notre spi médium a décidé de nous dire qu’il était un peu fatigué. Rupture du point d’écoute, impossible de réparer en mer.
Troisième jour de course, encore 11 devant nous, la tuile. Pas le temps de s’apitoyer, on hisse le lourd et n’accusons quasiment pas de différence de vitesse sur les premiers jours de course.

Au vu des conditions météo, je fais le choix de faire une trace assez proche de l’ortho, sans trop nous rallonger la route. L’avantage des spi symétriques est de pouvoir avoir des angles beaucoup plus abattus que nos camarades qui sont sous spi asymétrique, alors autant en profiter.
Les grains ne nous épargnent pas, l’un d’eux, pourtant vu au radar mais probablement sous-estimé, sera violent, un bon 45 / 50 nœuds avec des poutres de pluie blanche, alors que nous sommes sous spi lourd, ce qui causera la rupture de la drisse, le spi lourd à l’eau, tout le monde sur le pont pour ramener la toile, intacte. En tout, la scène aura duré deux minutes, la pluie et le vent aussi, mais 2 minutes foudroyantes !

En plus d’entrainer l’équipage, cette transat m’aura vraiment permis d’avancer encore dans la réflexion du jeu de voiles, notamment dans le délicat choix des spis pour la descente et la remontée de l’Atlantique. Je réfléchis aussi à la bonne configuration de voiles pour le grand Sud, une configuration safe mais quand même performante. Petite précision, le règlement de l’OGR impose aux ketch un maximum de 13 voiles pour les 8 mois de tour du monde…

Tous les soirs, à 20h TU, l’Esprit d’Équipe et Pen-Duick VI ont rendez-vous sur les ondes de la BLU. Cette BLU sera notre seul moyen de communication lors du tour du monde, il me faut apprendre rapidement son fonctionnement ! Jean-Yves, un radio amateur basé en Bretagne nous retrouve, et tour à tour, nous faisons défiler les fréquences pour voir celles qui marchent le mieux en fonction de la position et du créneau horaire. Tellement plus agréable que de passer un simple coup de fil ! C’est comme le journal de bord : malgré nos logiciels de navigation qui enregistrent tout, je ne peux me résoudre à abandonner mon journal de bord écrit dans lequel on reporte environ toutes les 3 heures, ou lors d’un changement de voiles ou de cap, toutes les informations de navigation, cap, vitesse, vent, voilures, anecdotes ou autres événements etc… Depuis de nombreuses années, je n’utilise qu’un seul exemplaire, celui de Voiles et Voiliers, car il est fait à partir des dessins du Peintre de la Marine Marc Berthier, personnage à l’humour et l’élégance fine, et ami de la famille depuis toujours.
Du coup, je commence à avoir une belle collection de ces livres racontant toutes nos aventures, chaque position, chaque virement, et pas mal d’anecdotes plus ou moins sérieuses.
Alors je profite de ce message : Voiles et Voiliers, ça ne vous dirait pas de rééditer vos journaux de bord ? J’arrive au bout de mon stock, et les vôtres sont épuisés…!

Et c’est donc au terme de 13 jours de course, que Pen-Duick VI passe la ligne d’arrivée de la Transat du RORC. 1er bateau Classique, 5eme en IRC 0, 9eme monocoque en temps réel et 10eme en IRC Overall. Vu le plateau, nous sommes à la meilleure place que nous pouvions occuper. Devant, ce ne sont que des bateaux modernes, carènes légères et plates, foils, etc. L’Esprit d’Équipe est à 48h derrière, on a beau être copains, on préfère ce classement que l’inverse.
L’objectif était surtout d’entrainer l’équipage, et vu leurs progrès, je suis satisfaite.

Le temps de réparer le spi et nous mettons le cap sur Antigua, en passant par la Martinique pour changer d’équipage. Ce groupe de Volon’Terre débarquera tandis que ceux qui vont courir la Nelson Cup et la Caribbean 600 vont embarquer. Et ensuite ? New-York City Baby !

De Grenade,
Marie & Pen-Duick VI