Logo elementerre

Un joli mois en mer

Bonjour à tous,

Certains papiers sont plus difficiles à écrire que d’autres, mais quand on s’engage à raconter son aventure, ce n’est pas uniquement que pour les bons moments.
Et puis, écrire aide aussi à relativiser, nous sommes en bonne santé, et tout ça, la Vie, n’est qu’un grand jeu.

Après avoir vécu un joli passage au pays des hommes en kilt, nous avons donc pris la route de l’Irlande, afin de rallier Dun Laoghaire, juste sous Dublin. J’y débarque mon jeune équipage pour embarquer le 3ème groupe en sélection pour l’Ocean Globe Race : toute une organisation.
Nous y serons en bonne compagnie, entre deux VOR 70 et l’Esprit d’Equipe, l’ancien bateau de Lionel Péan, Vainqueur de la Whitbread 1986. Sous la direction Lionel Régnier et Pierre-Yves Cavan, le bateau vient de sortir d’un long chantier de réfection et devrait lui aussi participer à l’Ocean Globe Race, dans la même catégorie que Pen-Duick VI.
Cette course sera donc la première rencontre entre ces deux bateaux et je n’ai aucune idée de l’issue, ne connaissant les polaires de l’Esprit d’Equipe ni au près, ni au portant.
Par contre, je sais que malgré sa construction plus récente, il a un rating (Coefficient de temps) plus favorable que le nôtre. Avec un rapide calcul, nous devons arriver 10 heures avant lui sur un parcours de 700 miles (entre 4 et 5 jours de course).
Va pas falloir trainer donc, voire même partir la veille…

À la tactique cette fois-ci, c’est le bon Gérald Véniard qui a rejoint le bord. Un CV long comme un jour sans vent, et plein d’histoires à raconter : sûre que nous allons passer un bon moment.

La ligne de départ doit se franchir du Nord vers le Sud, ce sera donc un départ au portant.
Je ne sais pas si vous avez déjà vu les tangons de Pen-Duick VI, mais vu leur gabarit, ils pourraient servir de mats à pas mal de bateaux de plaisance.
Gérald nous pose sur la ligne au timing précis, nous relevons la chaussette de notre grand spi léger 30 secondes avant la ligne, et nous voilà lancés sur ce tour d’Irlande avec les 47 autres bateaux.
L’image a dû être belle, le VI sous spi dans le paquet de départ, en mode « poussez-vous, c’est moi que v’là ». Certains ont dû avoir une belle vision !

Merci aux concurrents des autres catégories d’avoir respecté le « gentleman agreement  » et de ne pas avoir cherché à nous loffer. Nous ne sommes pas dans la même classe, cela n’aurait servi à rien et surtout, il est très difficile pour nous de réagir aussi rapidement que les bateaux plus légers ou modernes.

Nous restons dans le top 10 pendant un bon moment, forçons la descente sous spi pour ne pas avoir à empanner, puis faisons marcher. À bord, nous hallucinons un peu de nous voir maintenir cette place, avec même un VOR 70 dans notre sillage. Nous nous débattons comme nous pouvons pour ne pas nous faire avoir par le combo molle + courant, et filons.
La nuit tombe, nous sommes sous génois léger, toujours 6ème en IRC 1, et 11 en overall.
Au matin, nous passons le phare du Fastnet, (de jour, enfin !!) toujours sur le même classement, et commençons à nous préparer pour le morceau velu de la course, mais celui que le VI attend : la remontée au près dans 30 noeuds et 4 mètres de creux.

Le vent monte, nous changeons de trinquette pour passer sur la trinquette lourde, la houle se creuse, nous prenons un premier ris, puis affalons l’artimon, puis un 2ème ris, et enfin yankee 2 amuré sur le pont.
Ça fait du bien de revoir les vagues. Les canaux écossais sont magiques pour naviguer dans 15, 20 noeuds de vent et mer plate, mais au bout d’un moment… on rêve de vagues.
Et là, le VI se régale.

Dans une mer formée, nous sommes au près serré, filant entre 10,5 et 11.5 nœuds surface, certaines fois en montant et descendant doucement sur la montagne russe, mais la plupart du temps, l’étrave pointe vers le ciel, la vague se retire, et le Black Shark s’écrase de tout son poids sur le plat de la vague suivante. À chaque impact, les poignets du barreur en prennent pour leur grade, les cervicales aussi, tout vibre dans le bateau, l’ordi de la table à carte décolle, les gars dans leur bannette aussi, et un bruit… Pouhaaa… Une lourde déflagration mélangée à quelques kilos de verre brisé. À peine le temps de s’en remettre, et le bateau attaque déjà sa prochaine vague, à nous de voir comment la négocier. Un peu l’impression de livrer un match de boxe avec une partie d’échecs entre chaque round.
À la barre, j’éclate de rire, me disant que l’on était quand même bien débiles de savourer ces moments-là.

Nous avons conforté notre avance sur l’Esprit d’Equipe à plus de 18 milles nautiques.

Nous sommes en train de déposer le bateau sous le vent, tout va bien à bord.
Un rapide tour à la table à carte nous confirme le virement pour rejoindre la côte avant de renvoyer un bord tribord amure.

Et là, en 30 min, tout bascule.

Pendant le virement, nous nous apercevons qu’il nous manque une des manivelles de la colonne de winch bâbord. Le truc improbable. Le truc qui ne doit pas arriver. Ces colonnes ont été offertes à mon père par le baron Bich, elles sont plus vieilles que le bateau. Des pièces de musée. Elles ont été déposées cet hiver pour entretien, tout allait bien… Pas le temps d’être furieuse ou d’être triste, il faut trouver une solution pour le prochain virement. L’embraque du Yankee, qu’il soit 1, 2 ou 3 est toujours un sujet, un petit combat, qui peut s’avérer dangereux si l’écoute est mal gérée. Deux solutions sont évoquées, donc on continue.

Sauf qu’en rentrant dans le bateau pour prévenir la terre de cette perte, (ne pas perdre de temps, il va vite falloir trouver une idée pour la remplacer pour la Drheam Cup !), je m’aperçois que des dizaines et des dizaines de litres de flotte sont sous ma bannette.
D’où vient-elle ? Mystère. Sur les 4 dernières années, nous avons fait pas mal de travaux sur le bateau, et depuis 3 ans, il est sec, dans tous les temps. Il y aura toujours un peu d’eau à cause de la construction du mat, mais pas grand chose. Là, plus nous vidons, plus ça vient. Quelque chose cloche. Nous soulevons les planchers et remontons le fil de l’eau, et arrivons à la crash box. Elle est sèche.
Mais le panneau à sa droite est plein d’eau. J’attaque la paroi au pied de biche et une fois arrachée, découvre que le feu de navigation tribord est à deux doigts de céder. Sous l’impact des vagues, son hublot de protection a été emporté, et une mauvaise conception fait que derrière, l’étanchéité n’était pas doublée.

Un vieux bateau, c’est un peu comme une vieille maison. Elle est déjà construite et a son histoire, mais comme vous n’en avez pas fait la conception, vous n’êtes jamais à l’abri d’une surprise.
Au près dans de la mer, l’étrave est l’endroit le plus dangereux du bateau. Ça tape deux fois plus, beaucoup de projectiles potentiels, sans parler de l’ancre, des outils… Alors bricoler… Un de mes équipiers pro se heurte violemment (mais il va bien !) en tentant de réparer, premier gros warning.
Il faut vite se rendre à l’évidence, réparer, et garantir l’étanchéité de cette pièce dans du gros temps est quasi impossible. Alors je décide d’abattre, de partir au portant… et d’envoyer un message à la direction de course pour leurs signifier notre abandon.

C’est mon premier abandon, et ce n’est pas drôle à vivre. On a beau connaitre la théorie, que ça arrive, que nous avons montré beaucoup de choses positives avant, que l’on va réparer et repartir sur la Drheam Cup, ben ce n’est pas drôle à vivre. Même avec le soutien de l’équipage.
Je suis désolée pour mon équipage, de ne pas les avoir emmenés au bout, désolé pour mon bateau, qui montrait de si belles choses, et dont je suis si fière.
Devoir se retirer de cette belle course comme ça, sur un truc que je n’ai pas vu venir, alors que l’on a bien préparé le reste… Et puis croiser l’Esprit d’Equipe sur le retour… bouhou…

Mais la voile reste un sport mécanique, malgré toute la poésie que l’on peut y rajouter, ça reste de la mécanique. Nous avons décidé d’avoir un programme ambitieux cette année, justement pour tout tester, tout voir, tout fiabiliser. Il vaut mieux que ça casse maintenant que dans le Grand Sud.

Une phrase dit que tout est toujours de la faute du capitaine. En fait, c’est assez juste, même si cruel parfois. C’est comme à cheval ; s’il ne fait pas correctement ce que vous lui avez demandé, c’est de votre faute. Soit il n’a pas compris car vous lui avez mal expliqué soit il ne veut pas faire car vous ne l’avez pas assez motivé, mis d’intérêt pour lui. Soit il ne peut pas faire, peut-être est-il bloqué à cause de votre position ou de vos aides, ou peut-être a t-il une douleur quelque part.
Là, c’est un peu la même. Tout en sachant que je ne peux pas tout contrôler et recontrôler, vérifier et qu’il faut bien déléguer, peut-être dois-je être encore plus exigeante. Ce bateau ne supporte pas l’amateurisme.
Ou peut-être que simplement « sometimes, shit happens… » et ce qui doit arriver, arrive.

Alors route sur Lorient, avec mon beau Black Shark et son œil crevé. Affreux à voir.
Et mine de, ceux qui devaient se démarquer dans cette sélection se sont démarqués. Les estomacs ont été mis à rude épreuve pour certains, les manœuvres en plage avant engagées, il a fallu gérer la crise, la déception, certains profils sont vite sortis du lot, alors même si ça ne s’est pas passé exactement comme prévu, nous avons vu chez eux ce que nous voulions voir.

Nous allons avoir une semaine de plus à terre pour réparer, optimiser le bateau. Ce joli mois en mer nous aura aussi permis d’imaginer plein de détails que nous souhaitons mettre en place pour nous faciliter la vie une fois en mer, surtout sur les rangements et l’organisation de la soute à voiles, et la cuisine qui elle, a déjà son optimisation de prévu.
Et puis il va falloir remettre le pied au bureau… quand même !

Bon, si vous avez une idée pour trouver une manivelle de colonne type Barient je suis preneuse !!

Rdv fin juillet pour le papier sur la Drheam Cup,

Marie et Pen-Duick VI