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Une grande famille

Bonjour à tous,

Après un convoyage express de 4 jours, avec des lumières incroyables, des levers de soleil à couper le souffle, du vent, du vent et encore du vent, nous voici donc en Ecosse, dans un endroit magique : le lieu de naissance de quelques-uns des plus beaux bateaux en bois d’arbre du monde : Les Fife’s de Fairlie.

Depuis 1998, à intervalles plus ou moins réguliers, les plans Fife sont invités à engager une grande transhumance vers la Clyde, lieu où les William Fife ont dessiné et souvent construit ces merveilleux bateaux.

Les Fife, c’est une dynastie de 3 William, et des centaines de plans dessinés, une précision de plan unique, un génie inégalé, et des noms qui font rêver: Cambria, Halloween, The Lady Anne, Tuiga, Hispania, Mariska, Mariquita, Eva, Nan, Altaïr, Kentra, Viola, The Lady Maud, Pen-Duick, Sumurun, Moonbeam III et IV, Shamrock, Corona, Vanity et tant d’autres…

Fife, c’est un chantier, un dragon si le bateau est dessiné ET construit par Fife, une esthétique alliée à de la performance.

À force de voir ces classiques dans le Sud, on en oublie qu’ils ont été construits en Ecosse, dans un climat et des lumières intenses, et les observer ici est un spectacle incroyable.

C’est ma première Fife, pas encore avec le premier Pen-Duick, ça, ce sera j’espère dans 4 ans, mais le VI est un « classique chez les modernes », et avec un peu d’humour, nous en avons fait un plan William Mauric III (©LH !).

Amoureuse de ces bateaux, et devant courir le tour d’Irlande juste après, il m’était impossible de ne pas venir assister à cet événement. Toujours vivre ce que l’on peut vivre, sans attendre.

Alors j’ai sélectionné un équipage en conséquence, avec un charpentier de marine, des ingénieurs, et Anne, 22 ans, qui vient de finir l’école d’architecture navale de Southampton. J’avais une petite idée en tête : j’ai pu leur présenter William Collier, gardien du temple Fife, qui est en train de réunir tous les plans originaux de Fife (et aussi de Watson !!), de les préserver, et de les archiver. Grâce à lui, un patrimoine inestimable est en train d’être sauvegardé, et mes jeunes équipiers ont pu découvrir ces trésors.

Car Fife, oui bien-sûr, il y a Fife mais, cette fabuleuse époque a aussi été celle de Watson, Herreshoff, Oertz, Mylne.

Ce que j’ai tenté d’enseigner à mes marins, c’est l’esprit du classique.

N’importe qui peut être propriétaire. En revanche, ce n’est pas donné à tout le monde d’être yachtman, gardien ou keeper.

Le bateau classique est une grande famille. Depuis des dizaines d’années, nous sommes une famille, amoureux de ces beaux bateaux, petits ou grands, certains tenus par de riches propriétaires, d’autres non, et ça honnêtement, on n’en a rien à faire. Chez nous, pas de clivage, pas de clans, juste des amoureux, au service de ces bateaux.

Car il faut bien comprendre que nous ne sommes qu’une petite partie de la vie de ces bateaux. Pen-Duick est né en 1898. Ma mère et moi tentons d’en être les gardiennes du mieux que nous pouvons, mais nous ne sommes qu’une petite partie de sa vie, et espérons qu’il continuera sa vie bien après nous. Vous n’êtes pas propriétaire de vos enfants, mais gardien, keeper ou responsable, choisissez le terme qui vous convient le mieux, tant que vous gardez l’esprit. Autant vous dire que « propriétaire » est proche de l’insulte pour moi.

Il y a des codes, des traditions dans cette famille, il y a du dialogue, de la solidarité, de l’échange. Il y a de l’élégance, de la discrétion, il y a de l’humour (beaucoup !). Il y a surtout un respect de l’histoire, du patrimoine, et beaucoup, beaucoup de travail. L’entretien de ces bateaux permet la préservation d’un savoir-faire, d’un artisanat d’exception. Nous sommes fiers de nos bateaux, heureux de les voir naviguer et encore plus de les faire découvrir aux marins du circuit plus moderne, qui en général sont assez surpris par le niveau technique et d’engagement physique que demandent ces belles machines. Il y a quelques listes d’équipages sur la Fife 2022 qui « envoient du lourd » comme on dit. Au bas mot, une dizaine de trophée Jules Verne quand même…

Le monde du Yachting est loin de l’image renvoyée par certains magazines qui ne montrent ces bateaux que sous un aspect plan-plan. Ils demandent du sérieux, de la rigueur, un haut niveau d’expertise, car un gréement qui porte une bôme de 700 kg, ça se respecte. S’il y a démâtage, c’est potentiellement des morts sur le pont.

Les capitaines de ces bateaux vous apprennent ce que le sens du mot responsabilité veut dire.

Il y a de belles histoires d’hommes et de bateaux dans ce milieu, Viola par exemple qui avait comme gardien Yvon R, Yvon qui aime les cigares, les copains et le Whisky, et qui a réuni pendant quasi 20 ans, une bande d’affreux tous tombés amoureux de ce plan Fife de 1908. Yvon a rencontré Kostia, qui aime les cigares, les copains et le Whisky. Viola a trouvé chez Kostia, son nouveau gardien, la bande d’affreux est restée la même, une amitié pour certains de plus de 25 ans…

Des Classiques, il y en a toujours beaucoup, malgré les dizaines de disparus pendant la guerre, alors que leur quille en plomb était récupérée pour faire des munitions.

Ils sont en Angleterre, en France, en Italie, essentiellement en Méditerranée, mais aussi sur la côte Atlantique.

Il y a des fous qui se lancent dans de grandes (re)constructions, comme Atlantic, Adix, Elena, impossible de ne pas évoquer dans ce papier le séisme de ces derniers jours, avec la disparition d’Eleonora…

Alors à mes jeunes marins, c’est ce que j’ai tenté de leur montrer cette semaine, la fierté et la joie que nous avons de préserver ce patrimoine, de faire courir ces pelles à feu en bois d’arbre, mais surtout l’amour que nous avons pour ces bateaux qui sont nos copains et sur qui nous gardons tous un œil, quelque soit leur propriétaire ou leur gardien.

Et croyez-moi, nous sommes nombreux à les garder à l’œil, très nombreux…

From Flower to Scotland.

En instance de départ pour l’Irlande,

Marie et Pen-Duick VI